Critiques

" La lumière est la véritable génératrice de l’architecture.
Sans la lumière, il n’existe aucun espace. La difficulté à l’intérieur d’un espace est de comprendre la vibration de la lumière. Les photographies de Bruno Delamain rendent justice aux différents filtres et textures auxquels la lumière est soumise dans l’architecture. Ceux-ci forment comme un tissu qui met en valeur le mur, non pas en tant que surface mais comme un élément qui a sa propre profondeur, une manière tactile de se montrer, comme dans la tradition des grandes constructions orientales. Je pense aux églises byzantines ou aux temples islamiques. Au-delà de la composition, ces photographies témoignent de cette envie de l’architecture de ne pas être lue à travers un slogan. Elles revendiquent une lecture des différents degrés de lumière comme éléments prioritaires de l’espace. "

Mario Botta


" La lumière, précieuse de sa raréfaction même, est ce qui attire d’abord dans la photographie de Bruno Delamain: elle caresse la matière et définit les formes dans une gamme veloutée de noirs et de gris. La forme, la lumière et la matière: ces éléments sont parfaitement maîtrisés et nous parlent d’architecture, celle des constructions humaines mais aussi de la nature. "
" Son activité de photographe d’architecture l’amène à suivre de grands chantiers de construction (Cathédrale d’Évry, Stade de France, siège de TDF, ...). Dans ces lieux de l’inachevé où plusieurs désordres s’affrontent et se mêlent, Bruno Delamain trouve l’inspiration et la matière à inventer son alphabet des formes.
Des objets délaissés, rebuts ou états intermédiaires du chantier, baignés d’une lumière sourde, mate, diffuse, sont des signes qu’il isole dans un format carré aux gris de plomb: ils font ainsi songer aux caractères mobiles d’une typographie inventée. "

Didier Brousse - Camera Obscura


" Bruno Delamain aime arpenter les chantiers, comme pour retrouver l’odeur de ciment des chantiers de son enfance où il accompagnait son père artisan maçon. Photographe d’architecture, c’est en curieux qu’il est venu: il a été littéralement appelé par le chantier de la Cathédrale d’Evry, convoqué par lui, happé au point d’en devenir le serviteur photographique. Il en a accompagné la genèse en spectateur discret jusqu’au bouquet final: “J’ai visité la cathédrale d’Evry en construction, comme on visite une abbaye à la lueur d’une bougie, dérangeant le moins possible l’épaisseur du noir, laissant toujours entre soi et la pierre - ou le béton - un voile sombre, une secrète douceur.” Mais il en est aussi le témoin et le révélateur : témoin du travail fugitif des bâtisseurs, et révélateur de l’esprit en action. "

Claude Mollard
(conseillé du ministre de la culture,
à l’origine du projet de la cathédrale d’Evry)



" Il y a la qualité des gris: des gris très profonds qui sensibilisent le regard à mesure qu’ils l’entraînent dans le jeu de leurs nuances. La visibilité se déplace ainsi du sujet vers une présence délicate et enveloppante, qui met en porte-à-faux le sujet, c’est à dire l’apparence, au profit de cette chose que la vue garde enfouie en elle-même. Voir n’a jamais suffi, ces photographies le révèlent en poussant la vue à glisser doucement de ce qu’elle aperçoit d’abord vers ce qui l’habite et ne vient qu’au-devant de la relation. "

Bernard Noël


Inconnu et pourtant si familier.
Ce qui apparaît devant nos yeux fait aussitôt penser à l’atmosphère humide des rouleaux de peinture chinoise à l’encre. De plus, l’angle de vue choisi rappelle avec force la structure de la peinture traditionnelle extrême orientale. En vérité, on éprouve une sorte de familiarité inconnue, d’inconnu si familier.
Le filtre de l’objectif, la mutuelle imprégnation du noir et du blanc, l’absence de couleur et de bruit, la pureté de la teinte, forment un tout uni. Attrait à la fois intime et étrange.
Le chantier, les cris, le mouvement, la terre, les échafaudages et les monstres mécaniques, … Les photographies de Bruno Delamain font jaillir au cœur du chaos l’impression de tranquillité et de sérénité comme si la poussière s’était définitivement stabilisée. Alors que la construction continue inlassablement, les photographies forment un travail déjà achevé.
La rencontre du texte et de l’image s’est faite à posteriori, elle apporte une signification supplémentaire et indépendante.

Xu Tongmin (institut des Beaux-Arts du Hubei)


Les signes du Yang-Tsé
C'est un lieu en devenir, le plus grand chantier du monde, le plus controversé aussi, celui du barrage des Trois-Gorges en Chine, destiné à domestiquer le fleuve Yang-Tsé. Pendant trois ans, au cours de plusieurs séjours, le Français Bruno Delamain a photographié ce monde de rocs, de machines, de poussière et de brouillard (quasi permanent dans la région). Les humains semblent absents, perdus dans le gigantisme, les camions réduits à des joujoux d'enfants et les photos (en noir et blanc) paraissent les fragiles états d'un temps vite balayé. les images sont accompagnées de commentaires calligraphiés d'artistes chinois. L'écriture leur redonne une densité face à l'implacable avancée des bâtisseurs. Le barrage (hauteur 175 m, longueur 2309 m) doit théoriquement être achevé à la fin de la décennie. Une dizaine de villes seront alors englouties par les eaux.

Frédérique Fanchette (Libération)


Bruno Delamain
La résonnance des lieux

Bruno Delamain révèle des objets qui surgissent de l'ombre, entre présence et absence comme un regard dans le vague. Ses images brouillent les pistes et libèrent des échappatoires vers l'éternité.

Christine Desmoulins
pour le magazine d'a avril 2003

BRUNO DELAMAIN :
LA SAGESSE EST GRISE.

Avenue Junot. Bruno Delamain me reçoit. Une amie Chinoise,
l'artiste Yu Ping, nous a présentés quelques annéesplus tôt.
Bruno Delamain voyage. En Chine notamment. Il y a photographié le plus
colossal chantier de l'histoirede l'humanité : le barrage des Trois Gorges.
Je regarde ses photographies. Le gris domine. C'est la couleur du béton,
celle des architectures en devenir ou des friches industrielles.
Un patrimoine que l'artiste a à cœur de devoir considérersur le mode d'un futur faisant corps avec le passé. Il se dégage de chacune de ces œuvres une certaineMélancolie ; sentiment diffus que l'on peut décliner en
de nombreuses variations. Littéraire tout d'abord : le goût des ruines
a inspiré Pétrarque et Du Bellay. Prise de conscience d'un temps originel
des plus lointains, accélérationde l'histoire qui est avant tout celle de la médiation, désir d'une communion ascétique avec ces lieux de mémoire
proche du vanitas vanitatum tel que l'exprime l'Ecclésiaste… Bruno Delamain, s'inscrit dans la continuité deces auteurs sensibles au charme
d'une beauté fanée, du temps faisant son œuvre sur les choses que des peintresont, à leur tour, développé : Paul Bril, Francesco Guardi,
Monsu Desiderio… La démarche de Bruno Delamain exclut néanmoins
le pathos cher aux Romantiques. Il n'exalte ni les ruines, ni le sentiment de solitude ou d'extrême fragilité qui lie, en une suave ambiguïté,
Eros et Thanatos. Bruno Delamain n'a rien d'un John Keats. C'est un homme posé dont le calme et la courtoisie me sont du reste extrêmement agréables.
Son œuvre me paraît moins novatrice par le choix de son sujet que par le parti pris risqué de vouloir associerla nature d'un sentiment à une couleur sinon longtemps proscrite dans l'esthétique européenne tout aumoins
marginalisée. Je veux parler du gris. « L'ennui de toute peinture est le gris » écrivait Delacroix. Dépréciativeest cette couleur qui est le produit d'une dégradation entre le noir et le blanc et dont les effets désignaient,naguère,
un type de peinture traitée en monochrome pour imiter le bas-relief :
la grisaille. Le gris est, dans son ambiguïté, le synonyme d'une médiocrité sans éclat, le terne absolu d'une vie sans histoire. C'est bien parce que Bruno Delamain y a recours, systématiquement, que son oeuvre devient,
à mes yeux, prodigieusement intéressante. Cet attrait pour le gris peut être l'extension d'une expérience onirique, individuelle oucollective et devenir
la définition d'une nouvelle mythologie faisant par ailleurs écho à la vertu d'une fadeurcultivée qui demeure, notamment dans l'économie visuelle
des Chinois, synonyme d'un état d'émotion réactif et incitatif suscité par la raison des choses. Le parallèle peut surprendre. Il est une amorce de réflexion permettant de questionner le rapport entre histoire et mémoire,
par le truchement du gris, sur le mode d'uneneutralité dont les perspectives sensorielles sont profondes et hautement revendiquées.

Emmanuel Lingot (critique d'art et sinologue)
Le Couteau n°12 juillet 2006

VERSPIEREN
Construction(s)

Le chantier est pour Bruno Delamain, plus qu’un lieu familier, un univers intime, presque constitutif de sa personnalité. Le béton, par sa couleur, son odeur, sa rugosité est, pour ce fils de maçon, un objet proustien qui ranime des sensations venues de l’enfance. On croirait ses tirages à la peau mate et grise imprégnés de la poussière fine et tenace qui saupoudre le sol des bâtiments récemment achevés.

Une image de Bruno Delamain n’est pas seulement donnée pour ce qu’elle montre mais pour ce qu’elle laisse entrevoir, supposer. La réalité qu’elle figure est le plus souvent « pauvre » et banale ; et plus elle l’est, plus notre imagination, comme celle d’un enfant dans l’obscurité, prend le relais de l’œil. Une lumière atone sourd de ces photographies qui ignorent le noir comme le blanc. Elle semble émaner des choses elles-mêmes et non d’une source extérieure, comme si elle parvenait d’un très lointain souvenir, comme si elle résultait d’une vie secrète et silencieuse des objets. Nous voici donc devant des still lifes, ces « vies tranquilles » qui, bien mieux que les « natures mortes » invitent à la méditation. 

Jean-Christian Fleury
Trans Photographic Press (Nov. 2008)